mardi 10 décembre 2019

RETRAITES: PAS SI SIMPLE, LA PREUVE !

En matière de retraites, «LE» régime idéal pour tous doit gommer les discriminations des régimes spéciaux qui favorisent certains ou pénalisent d'autres..
Je vais prendre deux exemples opposés les agriculteurs et les militaires, mais vous allez voir que ces métiers qui sont en fait très proches sur un point crucial ont généré deux régimes totalement différents. Malheureusement les pouvoirs publics parfaitement au courant des situations n'ont jamais entrepris quoi que ce soit d'efficace pour remédier aux difficultés.

Retraite Agricole
Le régime agricole donnerait des retraites catastrophiques, s'il était calculé comme le régime général,. Le métier est en effet particulier ( avec un seul actif cotisant pour trois retraités) et l'exemple ci-dessous permet de mesurer la difficulté à faire glisser dans le même moule tous les régimes spéciaux.
Les agriculteurs indépendants sont les plus mal lotis, avec un régime par points conçu pour des retraites minimalistes et la prise en compte de revenus dérisoires. Les cotisations ne rapportent globalement que de 23 à 30 points par an pour la majorité des exploitants:
La cotisation est proportionnelle au revenu mais la minimale est la même pour tous ( si le revenu réel est inférieur au minimum de calcul) et égale en 2019 à 3,32% de 800 fois le Smic horaire soit 8024€, ce qui donne une cotisation de 266€ pour financer la partie forfaitaire de la retraite. Et il s'ajoute à cela une cotisation de 11,55% du revenu minimal, calculé cette fois sur 600 fois le Smic horaire, et cette cotisation obligatoire minimale ressort ainsi à 695€ par an. Le minimum annuel à payer est donc de 961€ (266€ + 695€). En contrepartie on accumule des points mais, et c'est compliqué, en fonction du revenu réel et pas du revenu cotisé. Si le revenu réel par an est entre 0 et 6018€ on cumule 23 points, si le revenu réel est entre 6019€ et 8024€ on peut atteindre 30 points pour 8024€. Et de 8025 à 16744€ on peut gagner entre 30 et 50 points. Pour vraiment gagner plus de points il faut un revenu annuel de 16745 à 40524€ ce qui peut rapporter entre 50 et 104 points (à la louche cela fait 320€ le point supplémentaire).
Or, ce n'est pas un scoop mais l'agriculture ne rapporte pas: les prix sont écrasés par les intermédiaires, parfois le prix mondial sur un marché donné fait perdre de l'argent (même si on travaille sans relâche), la météo peut faire de gros dégâts etc... En travaillant toute sa vie l'accumulation des aléas peut aboutir à 1200 points pour une retraite à taux plein et, à environ 4€ le point, c'est au maximum une retraite de 283,35€ pour la partie forfaitaire et environ 350€ pour la partie proportionnelle. Ce montant de 633,35€ étant à rapprocher de la retraite calculée selon le régime général sur les 25 meilleures années et qui, selon mes calculs, tutoierait les 250€ par mois . Car dans le régime général les trimestres sont fonction des cotisations payées (si vous ne gagnez rien vous ne cotisez pas et vous n'avez pas de trimestre validé) et les agriculteurs qui, même en travaillant peuvent perdre de l'argent, cotiseraient au minimum donc pour un seul trimestre et pas 4. Du coup les retraites même à taux plein (grâce à l'âge de départ) seraient toujours avec décote pour manque de trimestres.
Une refonte universelle alignant les régimes sur le privé (en pourcentage du revenu ou à points), signifierait que les agriculteurs seraient perdants plus qu'ils ne le sont aujourd'hui. Tous devraient donc bénéficier de l'ASPA.
Chaque activité ayant ses spécificités et ses avantages ou handicaps la première chose à faire paraît logiquement la remise en équité des régimes afin que partout, le fait de travailler, même sans revenus, soit reconnu et puisse valider les trimestres. Mais si toutes les caisses disparaissent au profit de la Carsat, à terme on pourrait établir un minimum de retraite mensuel pour tous (ce qui éviterait un tas de calculs d'apothicaire) par exemple à 1000€. Tout en laissant en place des caisses complémentaires par métiers ou branches versant des complémentaires en fonction de cotisations...
Sans qu'il s'agisse de capitalisation. Ce serait une façon de sauvegarder les réserves des métiers qui ont de grosses réserves (plus de trois actifs pour un retraité).
Lorsqu'on est salarié, fonctionnaire, profession libérale, artisan ou commerçant on gagne sa vie en travaillant et, s'il est vrai qu'il existe des disparités dans le revenu, on gagne bien plus que les agriculteurs.... L'alignement du régime de retraite des agriculteurs passe donc par une nouvelle organisation de ce métier afin de le rendre similaire aux autres activités en terme de rémunération.
Dans cet exemple cela impliquerait une totale refonte des marchés agricoles en les déconnectant du marché mondial (pour certaines productions) ce qui est quasi impossible tout comme il serait impossible (car interdit par l'Europe) de compenser un prix mondial trop bas par des subventions ! Peut-être serait-il possible de mettre en place à côté du prix du marché un prix de rémunération équitable, qui ne serait donc pas une subvention, et qui devrait être payé par le client final (en quelque sorte une solidarité nationale). Cela ne représenterait à mon avis qu'une somme très faible par article, mais le souci serait de la collecter et de la répartir....
S'il est simple de voter un régime universel, il est bien plus compliqué de faire en sorte que ce régime soit cohérent avec une retraite digne de ce nom. Cet exemple des agriculteurs prouve qu'une réforme peut quelquefois nécessiter un grand chambardement des habitudes et comportements dans le pays. Mais la situation dramatique des personnes qui nous nourrissent, résulte des dérapages chez tous les intermédiaires intervenant entre les producteurs et le client final. Vouloir réformer les retraites de façon équitable et cohérente suppose, rien que pour cette profession, une refonte en profondeur de notre société au niveau des comportements sociaux, économiques et commerciaux.
Paradoxe des paradoxes, quelqu'un qui n'a jamais travaillé de sa vie ou très peu, même s'il a aussi connu des problèmes de vie et de santé, est finalement bien mieux traité qu'un agriculteur qui lui a travaillé comme un forcené jusqu'à 65 ans ou plus. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut abandonner les plus démunis, mais qu'il faut quand même comprendre qu'il est urgent de s'intéresser aux problèmes de la seule profession qui nourrit le pays.

Les Militaires
De l'autre côté les militaires ne font pas nécessairement 25 ans de carrière puisque pour eux la retraite est possible après 15 ans. Il ont l'avantage de partir avec une retraite calculée sur les dernières soldes, au grade le plus haut atteint, soldes les plus élevées de leur carrière. Certes s'ils ne risquent rien en temps de paix, ils mettent leur vie en jeu si la France se trouve en conflit militaire quelque part dans le monde. Ce qui est étrange dans le monde moderne, c'est que les militaires sont de fait considérés comme incompétents après 25 ans de service, sinon pourquoi les mettrait-on en retraite? Mais paradoxalement on les incorpore dans la réserve avec l'obligation de faire des périodes de service, ce qui revient à admettre qu'ils sont encore performants.... Une Incohérence de plus!
Je rappelle que dans la Grèce antique où les conflits étaient fréquents, et les batailles très physiques, les citoyens étaient tenus de défendre leur cité et son territoire jusqu'à l'âge de 60 ans.
Cela dit, je vous laisse imaginer ce que donnerait le passage des militaires au régime général, avec assiette de calcul sur les 25 meilleures années (donc baisse significative de l'assiette de calcul), et départ à 60 ans (ce qui impliquerait de les faire travailler à un poste sans danger après la carrière de terrain). Le montant de la retraite serait en chute libre par rapport à celle qui leur est allouée aujourd'hui.


Si j'ai pris ces exemples c'est pour mettre l'accent sur un point commun entre les personnes concernées. Un militaire risque sa vie, oui c'est indubitable, mais en proportion le métier d'agriculteur tue davantage que le métier des armes si on rapporte les décès à la population active. Et si les décès des agriculteurs (et là je parle des suicides) sont si nombreux c'est parce que les conditions sont éprouvantes (harcèlement fiscal et bancaire, harcèlement et agressions de diverses associations radicalisées et d'une partie de l'opinion, harcèlement des fournisseurs, des intermédiaires, des distributeurs etc...). Ce métier est dans les faits le plus risqué dans notre pays, c'est celui qui tue le plus ! Mais aucun avantage ne vient compenser cela et surtout pas la retraite en place!

Vous le voyez, ce n'est pas simple de mettre en place un régime universel même si sur le papier tous les français sont d'accord pour introduire de la cohérence mais aussi de l'équité dans le système. On comprend les inquiétudes du français moyen dans un contexte où les parlementaires décident sans vraiment intégrer toutes les donnes d'un problème, et où probablement tous les régimes spéciaux seraient perdants (avec un régime par points pur et dur), le régime général n'impactant pas les millions de personnes qui s'y trouvent déjà !
En réalité les métiers évoluent et les carrières à vie vont disparaître au profit de carrières hachées, de boulots divers et variés (libéral, public, salarié du privé, et pourquoi pas artisan et commerçant). Le régime à points est donc adapté à cette façon moderne de travailler car on pourra parquer les mêmes points quelle que soit l'activité. De plus des métiers en excédent comme les avocats aujourd'hui (5 actifs pour un retraité) peuvent très bien se retrouver à terme dans la situation précaire des agriculteurs (1 actif cotisant pour 3 retraités) donc rien n'est figé. Il est probable que les métiers d'électronique et de technologie vont devenir excédentaires en actifs par rapport aux retraités. C'est inéluctable: les progrès et l'évolution des sociétés génèrent des modifications. Il faut donc adapter les systèmes sociaux à ces évolutions. Mais pour revenir à la réforme en cours, si le gouvernement refuse de modifier les conditions de rémunération du monde agricole (refonte économique d'ampleur, déjà évoquée plus haut), et s'il refuse l'idée de rémunération directe par les acheteurs finaux (complément de revenu non assimilable à des subventions), alors il faudrait envisager un régime par points partiellement indexé sur la rémunération, mais basé aussi sur le temps effectif de travail pour les métiers sous-rémunérés. Ce serait une façon de corriger les inégalités qui en fait découlent de notre système économique libéral et capitaliste. Mais aucun pays n'a de prise sur cela puisque les économies sont imbriquées les unes dans les autres et que souvent ce sont des événements extérieurs qui influent sur les paramètres intérieurs d'un pays (on l'a vu dans la crise financière de 2008).

D'où pour moi l'importance du financement extérieur, que pour l'instant aucun gouvernement ne veut utiliser.... C'est pourtant la solution sinon je ne vois pas comment l'exécutif va réussir le tour de force de voter le régime unique, face à des régimes spéciaux qui ne lâcheront rien sur leurs avantages (quitte à provoquer la faillite du pays)... Ou alors le régime unique avantagera tout le monde ce qui ferait exploser les déficits, et pleurer les retraités actuels lésés car privés des avancées... Mais dans cette hypothèse le besoin d'argent nous mène de nouveau à la case départ avec comme seul recours le financement extérieur!

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