Dans un article publié
le 7 Mai 2020 par Ouest France, à propos du premier tour des
élections municipales, il était fait allusion aux 11 recours
finistériens. La plupart émanaient de candidats ou d'électeurs
pour violations des règles de campagne ou de vote, les autres étant
diligentés par le Préfet, généralement pour rectifier les listes
communautaires. Mais ces motifs concernaient 10 actions, la onzième
étant très particulière puisque se résumant à 'une question
prioritaire de constitutionnalité, ou QPC.
Une QPC , qu'est-ce que
c'est? Elle peut être posée par un citoyen à l'occasion d'une
procédure, pour violation des principes fondamentaux garantis par la
constitution à tous les français. Elle doit évidemment être en
lien avec la procédure, ne pas avoir fait l'objet d'une décision
passée du Conseil Constitutionnel, et présenter un caractère
nouveau et sérieux. Le juge gèle alors le fond du conflit et, s'il
la juge recevable, transmet la QPC au Conseil d'Etat, lequel filtre à
son tour avant transmission au Conseil Constitutionnel. Le fond du
dossier n'est donc repris par le juge qu'après l'éventuelle réponse
du Conseil Constitutionnel.
C'est un parcours
complexe et qui peut être long, mais il faut saluer la modification
de la Constitution qui permet à tout citoyen, depuis l'introduction
en 2008 de l'article 61-1, d'agir seul alors qu'auparavant il fallait
obtenir la signature de 60 parlementaires (procédure qui fonctionne
toujours). C'est une réelle avancée démocratique! J'ose espérer
que la publication sur ce Blog va aider à diffuser l'idée, en plus
du recours à la Presse et à d'autres médias car il est impératif
que cela change !
Le onzième recours du
Finistère s'appuie sur le premier tour des municipales et conteste
la constitutionnalité de l'article L 262 qui traite du déroulement
des élections dans les communes de 1000 habitants et plus. Il ne
s'est rien déroulé d'anormal dans l'élection contestée, mais
c'est l'application de l'article L262 au pied de la lettre qui pose
problème, car dans une quarantaine d'autres communes du Finistère
(et, par extrapolation, de l'ordre de 4000 en France), une seule
liste était candidate. Le phénomène est loin d'être marginal et
est tout sauf anodin!
Pourquoi y a-t-il
problème ?
Tout simplement parce
que le législateur a complètement zappé la candidature d'une liste
unique et a construit l'article L 262 en présupposant la présence
systématique de plusieurs listes concurrentes.
En conséquence on
applique à la liste unique les critères suivants prévus pour
plusieurs listes en lice : Réaliser au moins 5% des exprimés pour
pouvoir prétendre à la répartition des sièges, et réaliser plus
de 50% des exprimés pour obtenir la moitié des sièges (les autres
étant répartis à la proportionnelle). Or, ces deux conditions sont
remplies avec une seule voix obtenue. Une voix étant indivisible,
elle représente toujours 100% des exprimés donc remplit l'exigence
des 5% et celle des plus de 50%. Quel que soit le nombre de votants
les critères sont remplis. En période de corona virus on a donc
fait prendre des risques sanitaires inutiles aux électeurs et aux
bénévoles des bureaux de vote, puisqu'une seule voix suffisait pour
élire la liste unique. Par comparaison, dans une commune de moins de
1000 habitants pour être élu au premier tour un candidat doit avoir
obtenu plus de 50% des exprimés ET 25% des inscrits.
La différence de traitement ( on pourrait parler de discrimination)
est alors flagrante entre les communes, si pour 1000 habitants et
plus la liste peut être élue avec une seule voix. Mais la solution
ne consiste pas à mettre en place un critère supplémentaire en
pourcentage des inscrits... Ce serait trop simple, et ne changerait
rien car il y a quelque chose de pire: La constitution de 1958 fait
référence à de nombreux textes internationaux proclamant des
principes fondamentaux tels que la liberté d'expression à travers
le vote, la liberté d'opinions politiques etc.... Il est évident
que dans le mode de scrutin contesté ici, le cas précis d'une liste
unique présentée dans une commune de 1000 habitants et plus, aller
voter se résume à voter oui c'est à dire en faveur de la liste
candidate, tout vote d'opposition étant dans les faits complètement
interdit. Un vote non impossible c'est étrange en démocratie, non?
Si vous rayez des noms
dans la liste votre vote est nul ce n'est donc pas un suffrage
exprimé, si vous votez blanc, ce n'est pas un suffrage exprimé, et
si vous vous abstenez, ce n'est pas non plus un suffrage exprimé. Il
n'existe aucun moyen d'exprimer votre opposition et d'empêcher
l'élection de la liste. Celle ci est donc de fait élue dès le
dépôt de candidature, car la seule possibilité est le vote OUI,
stratagème relevant plutôt des pays totalitaires. Permettre cela
chez nous ternit passablement l'image de la France en tant que pays
des droits de l'homme. Les principes de Liberté d'opinion et
d'expression ne sont plus garantis et l'article L 262 doit être
réécrit.
Plusieurs solutions
techniques ont été proposées dans le recours, bien que cela ne
soit pas la règle: mettre en place des bulletins OUI et NON en cas
de liste unique, avec un système d'élection complémentaire pour
les sièges revenant à l'opposition (solution innovante jamais
envisagée); ou bien favoriser l'inscription de listes incomplètes
(moins de candidats que le nombre de sièges à pourvoir), ce qui
suppose de la part de ces listes l'éventuel renoncement à la
majorité dans le conseil municipal. Des variantes, non décrites
ici, sont possibles mais l'idée est de garantir à chaque électeur
une liberté de choix. J'espère faire réagir en haut lieu. Il
est quand même étonnant qu'aucun élu, aucun avocat, aucun média
et encore moins l'exécutif, n'ait relevé cette anomalie et qu'il
faille une initiative individuelle pour soulever le problème...
N'oublions pas que
l'électeur n'est pas responsable du fait qu'une seule liste soit
candidate. Il est légitime qu'il attende du législateur une
réglementation garantissant une véritable expression démocratique
pour tous. Le préfet en tant que dépositaire des candidatures
pourrait très bien informer et alerter la population en temps
utile pour susciter des candidatures et éviter la liste unique...
A croire que la
démocratie n'intéresse finalement que très peu de monde, et que la
suppression de la liberté d'expression à travers le vote ne
chagrine en rien ceux qui sont bénéficiaires d'une telle élection
que l'on peut qualifier de «hold up».